Les machines nous dépassent depuis longtemps : elles font des multiplications mieux que la plupart d’entre nous; l’une d’entre elles a battu le champion du monde en titre aux échecs en 1997, une autre l’a emporté sur l’un des meilleurs joueurs au jeu de go en 2016. Cependant, affirmer qu’elles deviennent plus intelligentes supposerait que l’intelligence serait quantifiable, autrement dit qu’il s’agirait d’une substance que l’on peut mesurer, comme la notion de quotient intellectuel le laisse faussement entendre. Or, l’intelligence recouvre au moins trois dimensions dont aucune n’est cumulative.
On range d’abord sous le terme intelligence un ensemble de facultés cognitives – par exemple la perception, la mémorisation, l’apprentissage, le raisonnement, l’imagination, l’aptitude à communiquer, etc. – à la fois innombrables, incomparables et plus ou moins développées selon les espèces, et, dans les espèces, selon les individus, ce qui fait qu’on ne saurait les additionner. Dans le cas des machines, ce sont les hommes qui attribuent ces facultés : sans nous, la perception, la mémorisation, le raisonnement et a fortiori l’intelligence des machines n’auraient aucun sens.
En deuxième lieu, l’étymologie latine du mot « intelligence », inter-legere, renvoie à la capacité à établir des liens (legere) entre (inter) des choses très éloignées, ce qui suppose des capacités d’intégration de connaissances* très variées que les machines actuelles, spécialisées dans une tâche unique, n’ont pas.
Enfin, l’intelligence renvoie à la réflexion, à la conscience morale, au libre arbitre, autrement dit à la capacité de choisir par soi-même et par là, d’engager sa propre responsabilité, alors que les ordinateurs ne font qu’exécuter des algorithmes et satisfaire des objectifs qui leur ont été donnés par les hommes.