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2.2. Raisonner, décider

Un des thèmes majeurs de l’intelligence artificielle est la formalisation et l’automatisation du raisonnement humain. En effet, la capacité de raisonner de façon articulée pour résoudre des problèmes, prendre des décisions rationnelles et les expliquer est souvent considéré comme étant le propre de l’esprit humain, tandis que la faculté d’effectuer de façon purement réactive des actions non triviales pour reconnaître son environnement, s’y déplacer ou le modifier est partagée par nombre d’animaux.

Le souci de formaliser le raisonnement délibératif remonte au moins à l’antiquité avec les travaux d’Aristote autour des syllogismes. Cette tradition a été considérablement étudiée au cours du temps pour donner naissance à la logique* classique au milieu du XIXe siècle. Mais la logique classique a surtout été développée pour servir de fondement aux mathématiques, et non pour rendre compte du raisonnement humain. Néanmoins, on peut la voir comme une idéalisation de celui-ci, et de nombreux travaux portant sur la démonstration automatique de théorèmes en intelligence artificielle ont vu le jour.

À partir de la seconde moitié du XXe siècle, et surtout au début des années 1980, des logiques non classiques sont apparues, qui se sont avérées plus naturelles, souples ou expressives que la logique classique dans l’optique de formaliser diverses formes de raisonnements humains.

On a vu éclore:

  • les logiques épistémiques* qui raisonnent sur la notion de connaissance et l’introspection (savoir qu’on sait) et ses extensions multi-agents* qui prennent en compte le fait que nos décisions sont influencées non seulement par nos connaissances* sur le monde, mais aussi par ce que l’on sait des connaissances d’autres agents ;
  • les logiques non monotones* qui se focalisent sur la capacité de tirer des conclusions plausibles en l’absence d’information suffisante (à partir de règles ayant des exceptions implicites comme “typiquement les oiseaux volent”), conclusions qui sont révisables si de nouvelles informations arrivent (si on apprend que “l’oiseau [dont on parle] est une autruche”) ;
  • les logiques paraconsistantes* qui cherchent à obtenir des déductions non triviales malgré la présence de contradictions ;
  • les logiques multi-valuées*, où la notion de vérité devient graduelle. Ces logiques sont fortement reliées aux ensembles flous*, à la représentation de concepts non booléens du langage naturel, et au raisonnement interpolatif ;
  • les logiques de l’incertain qui attachent des degrés de croyance (par exemple des probabilités*) aux formules. Certaines théories de l’incertain, telle la théorie des possibilités* (pour traiter l’information incomplète) se marient très bien avec la logique, mais d’autres (telle la théorie des probabilités) mènent à des formalismes plus complexes, et se tournent vers l’utilisation de représentations graphiques ;
  • diverses logiques qui formalisent des contextes spécifiques, telles que les logiques temporelles, spatiales, celles qui formalisent les préférences d’agent, les logiques déontiques qui raisonnent sur la notion d’obligation et de permission, etc.

D’autres formes de raisonnement sont l’objet de recherches actives, tels le raisonnement abductif (où l’on cherche les causes les plus plausibles qui expliquent une observation), le raisonnement inductif (qui crée des règles génériques à partir d’un ensemble d’exemples factuels, permettant ainsi l’apprentissage), le raisonnement à partir de cas (on raisonne en se basant sur des exemples déjà rencontrés), ou le raisonnement analogique (qui met en correspondance des paires d’objets en exploitant leurs similarités et leurs différences).

Ces travaux ont fait apparaître des problématiques transversales qui sont pertinentes quels que soient les formalismes. Plusieurs d’entre elles concernent le fait que l’humain raisonne souvent en présence d’informations contradictoires, une problématique absente de la logique mathématique.

Notons en particulier :

  • la révision des connaissances (appelée “révision de croyances” en intelligence artificielle) : l’arrivée de nouvelles informations peut mener à remettre en cause nos connaissances sur l’état du monde. Cette contradiction est résolue en effectuant un changement minimal des connaissances antérieures de manière à incorporer la nouvelle information ;
  • la mise à jour : dans ce cas la contradiction avec les nouvelles informations vient du fait que le monde a évolué et il faut éliminer les informations devenues fausses ;
  • la fusion d’informations : la contradiction provient d’informations issues de plusieurs sources en conflit. Le problème est de combiner ces informations en restaurant la cohérence tout en prenant en compte toutes les sources.

Un autre aspect de la recherche en intelligence artificielle concerne les méthodes pour la décision. On peut considérer que le raisonnement dans toutes ses formes est une étape préliminaire pour pouvoir ensuite décider d’une action à entreprendre. La plupart du temps on décide sur la base de nos connaissances sur le monde. La décision peut être multicritère (par exemple le choix d’une nouvelle voiture en fonction du prix, de la consommation, des performances, etc.), ou en présence d’incertitude (décider de notre heure de départ pour arriver à temps étant donné les possibilités d’embouteillages). Les spécificités de l’intelligence artificielle sur ce thème ont été, d’une part la proposition de cadres qualitatifs pour représenter des préférences conditionnelles et définir des critères robustes de décision, et d’autre part, d’étudier des problèmes de décision multi-étapes en présence d’observations partielles. Des logiques dynamiques de l’action, qui utilisent la logique épistémique multi-agents, ont été également proposées pour traiter des problèmes de robotique cognitive*.

Enfin, l’argumentation intéresse depuis le début des années 1990 les chercheurs en intelligence artificielle. Elle peut être utilisée pour modéliser différentes formes de raisonnements, pour l’aide à la décision, et pour générer des explications. Elle joue aussi un rôle important dans les interactions multi-agents et en particulier dans des dialogues de persuasion et de négociation. Dans toutes ces applications, l’argumentation est un processus qui consiste à soutenir des thèses par des arguments qui peuvent prendre différentes formes, avoir différentes forces, être plus ou moins pertinents vis-à-vis de la thèse défendue.